Vieillir en mouvement

Je participe depuis quelques mois à un groupe qui s’appelle « Vieillir en mouvement (VEM). Nous sommes un groupe de professionnelles du monde de la danse et de l’éducation somatique entre 55 et 70 ans. Nous partageons cette même passion du mouvement que nous enseignons depuis plusieurs décennies dans nos classes respectives. Nous nous réunissons toutes les six semaines environs. Le but de ces rencontres est d’improviser et de communiquer par le mouvement. Mais c’est surtout une occasion de continuer à vivre notre corps en mouvement malgré les limitations, les blessures et l’avancée en l’âge.

Ce qui nous réunit, c’est la croyance que vieillir peut rimer avec plaisir. Ces moments de partage par le mouvement sont très touchants et intenses. Ces rencontres confirment que quel que soit notre âge, il est toujours possible d’improviser avec d’autres, rebondir, laisser nos corps interagir avec fluidité dans la découverte de l’inconnu. En effet les improvisations se font les yeux fermés. Nous ne savons jamais d’avance où les improvisations vont nous amener. Mais ce qui est clair, c’est que ces expériences dans le groupe « vieillir en mouvement (VEM), est encourageant pour moi. Je vois que je suis encore capable de ramper, de glisser sur le sol, de m’enrouler ou me dérouler avec souplesse, rebondir et sauter.

Vous connaissez sans doute mon intérêt pour la plasticité du cerveau par le mouvement, soit cette faculté de de créer de nouvelles connections synaptiques afin de se réorganiser en permanence et de pouvoir continuer à apprendre et enrichir son vocabulaire de mouvement. C’est ce que j’enseigne avec passion depuis plus de quatre décennies à travers la méthode Emballons-nous.

Toutefois, dans ma carrière d’éducatrice somatique, j’ai observé qu’il existe de nombreux stéréotypes négatifs ou âgistes qui vont affecter les habiletés motrices et influencer les capacités d’une personne qui avance en âge. Par exemple, après un certain âge, il existe une forte croyance que descendre au sol n’est plus une bonne idée. La crainte de ne pas pouvoir se relever est une des raisons qui est parfois réelle. S’ensuit une réelle phobie du sol à laquelle se rajoute la crainte de tomber. Alors l’action de descendre au sol sera graduellement évitée et les fonctions reliées à cette action de descendre au sol et d’en remonter vont se perdre progressivement. Vous connaissez cet adage : « use it or loose it ». Moins on le fait et plus on perd la compétence de le faire.

Le paradoxe est que plus la peur de tomber augmente, et plus la mobilité va rétrécir. Et plus la mobilité rétrécit, plus le risque de chute va augmenter.

Un autre exemple : dans le vestiaire de la piscine que je fréquente régulièrement, j’entendais quelques femmes dans la soixantaine dire qu’elles avaient perdu des pouces. Et que c’était normal, à leur âge. Il est vrai que lorsque nous vieillissons, les fléchisseurs prennent le dessus sur nos extenseurs. Le corps est plus vouté, les disques intervertébraux plus écrasés avec une tendance à se raccourcir.

Mais lorsque à la fin de chaque classe je demande à mes élèves de ressentir les traces de la leçon du jour, puis de partager leur expérience et d’exprimer ce qu’ils sont appris et si quelque chose a changé entre le début et la fin des 90mn de cours, la plupart disent qu’ils se sentent plus longs, plus grands…

Cela veut dire qu’il est toujours possible de changer ce qui semble inéluctable. Vieillir n’est pas toujours synonyme d’un affaissement. Mais beaucoup l’ignorent. La façon de se percevoir va fortement influencer la façon de se mouvoir. La phrase « c’est normal à votre âge » est lourde de sens. Si je me sens vieille et qu’il n’y a rien à faire, je serai moins mobile.

Mon expérience qui soutient ma croyance me montre que si je commence à bouger doucement sur mon tapis, pour retrouver une certaine fluidité, je peux changer la façon dont je me sens et modifier le cours de ma journée quel que soit mon âge.

Les réelles limitations telles un genou récalcitrant et souffrant ou une colonne en mauvais état existent. Le corps se transforme avec le vieillissement. C’est un processus qui commence très jeune. J’en suis témoin régulièrement, autant chez moi que dans ma clientèle.

Malgré cela, l’expérience globale du mouvement doit être maintenue le plus longtemps possible pour que la fonction se maintienne. Les limitations deviennent souvent le tremplin pour apprendre à bouger autrement.

Mon objectif pédagogique repose sur les qualités plastiques de notre cerveau : par l’expérience du mouvement, j’accompagne ceux qui font le choix de venir dans mes classes et mes stages à maintenir leurs capacités ou de les retrouver si elles sont perdues.

Faciliter à conserver ou retrouver ce qui semblait impossible donne beaucoup de sens à ma vie. Pour ce faire, les limitations de chacun doivent être accueillies et respectées. Chacun a l’opportunité de cheminer dans sa vie, un pas à la fois, à son rythme avec aisance et liberté.

Je le vérifie pour moi -même dans mon groupe VEM mais c’est aussi le fondement de mon enseignement destiné à une clientèle qui veut vieillir sans rétrécir.

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