La poussière d’une grand-mère

Il est 18h et je suis assise sur la plage à Douarnenez en Bretagne. La mer est en train de monter et le vent souffle fort.  Je viens de terminer un livre intitulé Milarepa de Éric Émmanuel Schmitt. C’est rare que je prends le temps de lire un livre en une traite, sans le lâcher.

J’aime cet auteur. Son livre nous fait réfléchir sur l’humanité, l’empathie, soit la capacité de se mettre à la place de l’autre, sur la réussite de notre vie.

Je réfléchis. Je prends le temps de ressentir ces mots. Une idée me parle : « ne pas vouloir trop pour l’autre ». Je réfléchis encore sur ma passion dans mon enseignement et sur le souhait de vouloir rallier le plus possible de gens à ce travail somatique auquel je crois.

Laisser l’autre être!

Ne pas convertir l’autre! En fait, c’est ce rapport à l’espace de l’autre qui me fait réfléchir.

Je suis heureuse de mes valeurs et j’ai la conscience que je n’ai pas le pouvoir de changer l’autre.

Paradoxalement, pendant que je me préoccupe de l’autre, je réalise que je m’oublie parfois moi-même.

Cet été, je suis en Bretagne, cinq semaines pour m’occuper de ma petite fille de 3 ans. Du plaisir à l’état brut. Je suis totalement centrée sur elle. Je n’entends plus mon corps qui murmure. Pourtant je ressens des douleurs quand je me tourne dans le lit. Peut-être est-ce le matelas de la maison de location. Peut-être? Pourquoi chercher la responsabilité sur ce qui est extérieur à moi? La vérité est que dans mon expérience de grand-mère à temps plein, je me suis totalement oubliée.

Tout mon être est heureux et complet de partager ces moments de qualité avec ma petite fille de 3 ans, mais j’ai conscience que mon corps crie.  Après le bain de mer du matin, au lever du jour, je me mets en mouvement ou du moins j’essaie.

Je constate que le moindre mouvement est douloureux. Je commence à mobiliser mes côtes. Ça ne bouge pas beaucoup .
Comment est-ce possible? Je me sens confrontée à mes limites. Est-ce l’âge, bientôt 62 ans.

Et humblement, je réalise que même après 40 ans de pratique de professeur d’éducation somatique, je peux me sentir limitée.

Alors je pratique sur moi-même ce que j’enseigne « we always teach what we need – nous enseignons toujours ce dont nous avons besoin ».

Je me parle avec beaucoup de compassion. Je deviens empathique envers moi-même. Je me mets à la place de l’élève. Je suis l’élève qui apprend, un pas à la fois, doucement, par des petits mouvements, les micro-mouvements.

Je m’enseigne des petites séquences pour retrouver la mobilité des côtes et du bassin avec beaucoup de délicatesse.

Puis graduellement, je retrouve ma mobilité fonctionnelle. Ma cage thoracique est à nouveau capable de s’arrondir, de s’arquer, retrouver le mouvement de l’accordéon dans la mobilité latérale. Ce n’est pas l’âge qui me met en contact avec mes limites, mais plutôt la capacité de m’oublier en m’occupant de l’autre. J’ai beau avoir de l’expérience dans le domaine somatique, cela ne m’empêche pas de me sentir rétrécie. L’expérience du mouvement me permet de retrouver ma liberté de bouger plusrapidement.

J’ai simplement enlevé la poussière pour pouvoir briller à nouveau. J’ai retrouvé une certaine fluidité et j’ai conscience qu’elle n’est jamais acquise.

La bonne nouvelle est que l’apprentissage de la conscience du corps (la conscience somatique) me permet d’écouter mon corps, de l’entendre crier, et de prendre le temps de répondre à ses besoins.
La démarche d’éducation somatique implique d’écouter quand le corps commence à murmurer et de prendre soin de garder la fluidité dans les mouvements régulièrement. Autrement, d’enlever la poussière régulièrement. Et ça, je peux le faire en tout temps, à 62 ans et plus.

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