Effort et confort

Je voudrais vivre comme une rivière qui coule. 

Portée par la surprise de ce qui va arriver.

John O’Donohue (prêtre irlandais, poète)

Je souhaite partager avec vous ma conception de l’effort dans mon enseignement en éducation somatique emballons-nous. En quoi l’effort peut-il devenir un piège et en quoi l’effort peut-il rimer avec confort ?

En ce qui me concerne, ce sujet est complexe car cette notion d’effort découle non seulement de l’éducation que j’ai reçue, qui valorisait l’effort, mais repose aussi sur des valeurs de la société dans laquelle nous vivons. Tout cela a généré des habitudes et des émotions qui ont structuré non seulement qui je suis aujourd’hui mais aussi toute une identité collective qui privilégie des valeurs basées sur le « no pain no gain ».

Élevée par des parents immigrants qui ont connu la guerre et ses horreurs, il s’agissait d’abord de se bâtir une place dans la société d’accueil et de remonter ses manches pour contribuer à l’effort collectif au détriment d’un confort personnel. Prendre le temps de s’arrêter pour s’organiser différemment dans sa vie et dans son corps n’était pas la priorité. C’était aussi une stratégie de survie pour éviter de sentir les traces traumatiques laissées par la guerre.

Dans un chapitre de mon livre « vivre en forme sans violence, les micro-mouvements pour bouger au quotidien » paru en 2007, j’ai questionné cette idée de devoir forcer, pousser pour arriver. Ces valeurs collectives du « no pain no gain », fortement intégrées dans notre soma, reposent sur un résultat à obtenir qui dépend uniquement de notre capacité à faire des efforts pour s’améliorer. La compétitivité qui en découle a pour but de dépasser l’autre, arriver au sommet le premier et ensuite faire des efforts pour s’y maintenir.

Nous avons une relation complexe à l’effort : ce dépassement de soi-même comporte son lot de plaisir et de joie et je ne suis pas là pour dire que nous devons éviter ces réalisations. Un certain effort est nécessaire à l’accomplissement de nous-mêmes. Ce que je dis, c’est qu’il est important de se poser la question du prix à payer pour cet effort permanent basé sur des résultats quantitatifs à obtenir au détriment du processus, soit sur la façon de s’organiser pour y arriver. Pour cela nous devons aussi prendre conscience de notre rapport à l’effort et son lot de jugements, celui qu’on se porte à soi-même et celui que notre environnement peut porter sur nous. L’étiquette de la paresse n’est jamais très loin.

Que ce soit en France où j’ai grandi ou au Québec où j’ai choisi de vivre, l’effort était une valeur directement reliée à la réussite, à la reconnaissance et au confort matériel. J’avais fortement incorporé ces valeurs. J’ai dû apprendre à m’en libérer en changeant mes croyances et mes habitudes.

C’est souvent lors d’un accident ou d’une incapacité que l’idée de faire autrement s’éveille à notre conscience. De grands maîtres en éducation somatique tels que Moshe Feldenkrais ou Gerda Alexander, par exemple, ont créé leur méthode à partir de leur expérience de blessure. Comme ils ne trouvaient pas de réponse dans les moyens existants, ils ont exploré des stratégies éducatives innovantes pour se guérir, soit bouger et penser autrement.

Moi-même, jeune, j’étais mal dans ma peau. Je pensais qu’il fallait faire des efforts pour me changer. J’ai souvent forcé sur moi émotionnellement et physiquement. J’ai souvent voulu dépasser mes limites. Après m’être blessée, je me suis questionnée sur ma relation à l’effort plusieurs fois. Ça m’a coûté cher en fractures et chirurgies. Et tant que je n’ai pas eu conscience de mes habitudes, j’ai refait les mêmes erreurs qui ont conduit à d’autres accidents dont j’ai appris le prix à payer. Tant que je n’ai pas accueilli qui j’étais fondamentalement, avec compassion, je n’ai pu apprécier pleinement la rivière de la vie qui coulait en moi et autour de moi.

Les habitudes sont tenaces. Elles sont parfois rassurantes. Pour les changer, il faut ralentir. Ralentir et diminuer l’effort dans nos habitudes devient la condition de la guérison. Ça prend du temps et ce n’est pas facile. Ça demande de changer ses croyances sur l’utilité de la lenteur, et de la douceur. Cela implique aussi d’accepter d’être en contact avec nos inconforts et nos roches intérieures qui se manifestent en nous quand on s’arrête afin de ressentir ce que nous faisons.

Les connaissances scientifiques ont démontré que le cerveau n’est pas capable d’apprendre ni d’intégrer les nouveaux apprentissages dans la rapidité et lors d’un effort trop important. Ça ne marche tout simplement pas. Diminuer l’effort permet de développer la conscience de notre corps et intégrer les acquis.

Rich Goldstand, entraineur, athlète de haut niveau et éducateur somatique Feldenkrais, au cours d’un colloque consacré au thème, « bouger mieux, vivre mieux », pense que la notion d’effort n’était pas bien comprise. En effet, il ne s’agit pas de dire que l’on vit sans effort. Par contre il est nécessaire d’observer et de ressentir comment nous organisons notre vie et plus spécifiquement nos mouvements pour réaliser nos intentions avec confort et efficacité. Est-il possible de réaliser sa vie avec un effort distribué de façon qualitative avec un équilibre entre faire et ne pas faire, entre être et faire?

Quand j’enseigne à mes élèves de faire une pression de 20 %, cela ne veut souvent rien dire. Car nous n’avons aucune idée en quoi représente la diminution d’effort. Ruthy Alon, fondatrice du programme des Os pour la vie, nous dit que les personnes ont du mal avec leur relation à la force, soit réguler la pression dans leurs mouvements pour renforcer leur os. Notre cerveau a tellement été conditionné à forcer, presser, en faire trop que le fait de diminuer cet effort va parfois devenir difficile et même intolérable.

Psychologiquement, il n’est pas facile de trouver sa voie vers une diminution de l’effort. Le hamster, cette petite voix intérieure, qui oppose l’effort à la paresse, n’est jamais très loin. Et je le vois dans mes cours. Je devine souvent la présence des hamsters dans la tête de certains élèves débutants. « Voyons, je paie et il ne passe rien! Les micro-mouvements? Mais je ne sens pas grand-chose!

Pourtant à la fin de chaque cours mes élèves sentent le résultat. Leur façon de bouger a changé entre le début et la fin du cours. Ils ressentent et partagent que leur corps est plus léger ou plus solide et que cela leur demande moins d’effort de se tenir droit. Aleyluya!   Pour les aider à diminuer leur effort et à réorganiser leurs séquences de mouvements, je les invite d’abord à forcer à 100 % puis de diminuer la pression progressivement pour apprendre ce que veut dire diminuer l’effort par les micro-mouvements . Avec juste un effort de 20 % de pression, il s’est passé quelque chose.

Je me souviens avoir travaillé en individuel avec un marathonien. Michel, sportif de 50 ans, qui s’entrainait pour le marathon de New York. Au terme de ses marathons, il s’est toujours senti épuisé et ressentait des douleurs dans tout son corps.

Mon rôle était de l’accompagner à éduquer son cerveau à investir là où c’est nécessaire par des explorations en micro-mouvements. Je l’ai vu dix fois. Nous avons travaillé majoritairement au sol. Être allongé sur un tapis lui a permis de ressentir plus facilement son corps, de diminuer ses tensions générales, de relaxer son système nerveux et se rendre disponible à apprendre. Ensuite nous avons pu transférer ce ressenti dans la position verticale afin de travailler sur ses appuis. Sa cage thoracique plus mobile l’a aidé à régulariser sa respiration. Des explorations basées sur les étapes de développement neuro-moteur ont favorisé la coordination motrice et a allégé sa foulée lors de la course. Par exemple, la jambe qui n’avait pas de poids pouvait ainsi relaxer une fraction de seconde. Sur la durée d’un marathon, ça fait une grande différence.

Il était venu me voir, car il voulait être capable de profiter pleinement de son marathon et avoir l’énergie nécessaire pour savourer le plaisir d’y avoir participé et ainsi relever un défi personnel. En complément de son l’entraînement, cette pédagogie somatique a soutenu son endurance avec un effort mieux réparti.

Michel a appris à accorder son corps en vue de cette performance à la manière d’un musicien qui accorde son instrument avant de jouer.

Déjouer les pièges de l’effort, demande de s’arrêter, de ralentir. Je le rappelle, ce changement de paradigme prend du temps, parfois plusieurs sessions pour ceux qui ont décidé avec courage d’explorer ce qui est nouveau et inconnu.

N’est-il pas intéressant que la pandémie et son confinement nous ont offert cette opportunité de ralentir et d’apprendre à sentir, pour écouter la vie qui traverse notre corps comme une rivière qui coule?

Et vous qu’en est-il? Je vous partage la question que je me suis posée moi-même : Comment être au monde, si on arrête de pousser, de tirer sur soi, de forcer? À quoi ressemblerait votre vie sans effort?.

Quelle valeur accordez-vous à l’effort dans votre vie en général?

Comment cela se vit dans votre corps?

Quelle alternative à l’effort voyez-vous dans votre vie?

Partagez vos expériences en dessous de cet article. Je serai curieuse de vous lire.

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